Chaptalisation et aromatisation illégales, multiples contrefaçons... Les agents de la Répression des fraudes sont sur le qui-vive. Et tentent de défendre le vin français dans l’Hexagone, parfois même jusqu’en Chine !
Certains vins subissent les pires outrages: on leur ajoute du sucre, du lait, de la glycérine, des copeaux de bois, du caramel, du bleu de méthylène, ils sont maquillés, rebaptisés, vendus sous le manteau.
Tous les ans, la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) dresse le bilan des petites arnaques et grosses magouilles du vin. Des 30000 acteurs du secteur viti-vinicole visités par ses services en 1998, près de 3000 ont été rappelés à l’ordre et 650 traduits devant les tribunaux sous des motifs divers : tromperie sur la marchandise, étiquetage non conforme, usurpation d’appellation d’origine controlée, falsification... «Mais depuis l’affaire du Château Giscours, aucun grand domaine n’a été épinglé», dit Jean-Jacques Ambroise, agent au réseau de contrôle des vins et spiritueux à la DGCCRF.
Tout le Médoc résonne encore de cette ténébreuse affaire révélée en 1998. Les propriétaires du célèbre cru se livraient à des pratiques que la loi réprouve, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de vins classés. Un peu de lait, quelques acides pour modifier le goût. Et, sacrilège, un discret mélange de cuves afin de renforcer la carnation d’une cuvée un peu jeune. Comme si cela ne suffisait pas, des douelles de chêne ont été plongées dans des cuves de béton ou d’acier afin de conférer au vin un goût boisé d’apparat. Sur cette dernière duperie la Cour d’appel de Bordeaux a tranché : le 13 septembre 1999, elle a condamné Château Giscours et trois autres producteurs (Lamarque, Lacroix-Merlin et Greysac) ainsi que le tonnellier Demptos à 50000 F d’amende chacun.
L’année 1998 restera un mauvais millésime, mais moins pour les vins que pour ceux qui les font. Car peu de temps après l’affaire du Château Giscours survint celle des Hospices de Beaune. Ils s’est avéré que certains des grands crus mis en vente avaient été chaptalisés et acidifiés. Autorisée sous certaines conditions, la chaptalisation est totalement illégale lorsqu’elle se complète d’une acidification. Cette méthode permet de « rattraper » un vin et, bonus supplémentaire, d’allonger sa production. Le procédé est d’autant plus courant qu’il ne nécessite que des produits en vente libre, dont il est difficile de contrôler la circulation, comme le sucre ou l’acide tartrique. Vendu en droguerie, ce dernier est utilisé dans les travaux de peinture. « A une époque, c’était vraiment fou le nombre de viticulteurs à qui il prenait subitement l’envie impérieuse de repeindre leurs façades en pleine période des vendanges », s’en amuse encore Dominique Filliol, de la DGCCRF.
Il est relativement facile de mesurer la teneur en sucre d’un vin. Pour cela, les chercheurs utilisent la résonance magnétique nucléaire (RMN) pour traquer la présence de l’atome de deutérium et de son cousin, l’hydrogène. « En effet, explique Bernard Médina, directeur du laboratoire des fraudes de Bordeaux, le rapport entre ces deux composés “signe” le vin. S’il est significativement différent d’une valeur de référence, c’est qu’il y a eu chaptalisation. D’autres méthodes, la spectrométrie de masse isotopique, par exemple, permettent l’analyse fine d’éléments tels que le carbone 13 ou l’oxygène 18, révélateurs de pratiques illicites, comme le mouillage des vins, qui consiste à ajouter de l’eau pour baisser le degré d’alcool et augmenter la production.»
Mais la fraude la plus importante en volume reste encore celle à la revente. Suite aux contrôles, la commercialisation d’excédents de récolte a beaucoup baissé. En revanche, revendre à des comités d’entreprise, ou en vente à domicile, des vins achetés en gros et prétendus « déclassés » reste une arnaque très prisée. Problème, un vin d’appellation d’origine contrôlée qui présente un vice de fabrication et qui est effectivement déclassé est alors vendu sous l’appellation « vin de table ». Il n’existe donc pas de saint-émilion ou de pomerol « déclassé ». Et pourtant, il s’est écoulé sous ces étiquettes mensongères beaucoup de bouteilles, à en juger par les saisies opérées en 1998, également riches en champagne de pacotille et autres gevrey-chambertin au rabais.
Quoi qu’il en soit, cette contrefaçon reste de la petite bière par rapport aux trafics qui se trament en Asie. On ne compte plus les piquettes vendues en Chine munies de contre-étiquettes qui en font de « grands vins de bordeaux » ou qui transforment, en langue locale, de banals mousseux en prestigieux « champagnes ». « Bien souvent, analyse Jean-Marc Girardo, directeur juridique du Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC), c’est plus un problème de compréhension qu’une véritable volonté de nuire. La difficulté essentielle consiste à faire accepter la justesse et la nécessité de notre système d’appellation.»
A cet effet, le salut du vin français en Chine viendra peut-être du plus célèbre des thés verts, le Long Jin « puits du dragon », originaire de Hangzhou, au sud de Shangai. Consommé depuis mille ans, ce thé renommé est contrefait depuis presque aussi longtemps. Il a été choisi par l’administration chinoise pour un test grandeur nature de mise en place d’une véritable appellation d’origine chinoise. « Ils ont fait appel à notre expérience, continue Jean-Marc Girardo. Le projet est déjà très avancé. Une fois cette appellation contrôlée définie, notre service des fraudes protégera le Long Jin en Europe. En retour, nos vins seront surveillés par les autorités chinoises.»
Quoi de plus infalsifiable qu’un billet de banque? Peut-être bientôt une étiquette de grand cru. En effet, l’expérience acquise dans la lutte contre les faux billets profite de plus en plus aux victimes de contrefaçons. « Les grands crus espagnols, le rioja et le ribeiro, ainsi qu’une grande marque de champagne français qui préfère garder l’anonymat, font partie des produits viticoles qui ont fait appel à nous pour les protéger », explique François-Guy Urrutia, directeur général de Securcode. Cette société est l’agent officiel de l’Imprimerie nationale d’Espagne (FNMT). Elle est la seule habilitée à donner aux entreprises du secteur privé l’accès à des systèmes de haute sécurité qui étaient auparavant uniquement réservées à l’Etat pour protéger la monnaie fudiciaire et les documents officiels. Parmi les procédés utilisés, on dénombre l’incorporation d’une encre invisible dans la trame des étiquettes, visible seulement aux rayons ultraviolets, et la présence d’une impression codifiée. Celle-ci ne peut être lue et décodée que grâce à une lentille élaborée par la FNMT, incorporant plus de 160 prismes, que l’on fait tourner selon un certain angle pour que les messages cachés apparaissent. Ces clés de sécurité - utilisés également dans la mode et la joaillerie - assurent ainsi au produit une traçabilité parfaite tout le long de son circuit de distribution.