Les vignobles du Jura et de la Savoie

Même si les vignobles savoyard et jurassien présentent une aire de production assez restreinte, leurs reliefs très contrastés constituent un site privilégié pour l'implantation de la vigne. C'est tout le charme de ces régions dont nous vous proposons de découvrir les vins, au caractère très affirmé.

Savoie

Vignobles de montagne couvrant chacun 2000 hectares environ, le Jura et la Savoie produisent surtout des vins blancs. Ils ont également en commun l'originalité de leur encépagement. Là s'arrêtent leurs ressemblances. Réputés pour leur puissance et leur goût de noix, les vins du Jura sont constitués pour la garde. Ils offrent l'une des palettes les plus riches en arômes et les plus marquées en saveurs. Blanc, jaune, paille, rouge et corail : un tableau de maître pour ces vins encore trop méconnus ! La Savoie quant à elle, présente un vignoble morcelé, une infinité de petits crus pittoresques, fringants et conviviaux idéalement adaptés à la gastronomie de montagne. Légers, vifs et floraux, ils sont consommés jeunes pour la plupart. Petit tour dans ces deux vignobles voisins qui s'ignorent courtoisement.

La Savoie aux mille visages

Le vignoble de Savoie couvre 2500 hectares sur 4 départements : principalement localisé en Savoie, il apparaît sur les rives du Lac Léman en Haute-Savoie, surgit dans l'Ain du côté de Seyssel et s'affiche en Isère sur les flancs de Chapareillan. Ce sont autant d'îlots de vignes qui se font écho, de combes à vallées et de lacs à coteaux, d'Evian à Fréterive en passant par Apremont et Jongieux. L'infinie diversité des vins de Savoie n'est que le reflet des paysages qui les ont vus naître : pittoresques au possible, les vins de Savoie font partie du décor, ils en épousent les contours : anguleux comme les sommets alpins, légers et frétillants comme les truites des torrents. Ce sont des blancs à forte majorité, à l'instar des vignobles septentrionaux : la fraîcheur du climat sied à la vivacité des vins blancs, mais façonne également la carrure des vins rouges aux tanins accusés. Dans les vins rouges, il convient de mentionner la très faible importance du Pinot Noir (3%) et de relever la paradoxale importance du Gamay au détriment de la Mondeuse, le cépage autochtone, longtemps caché comme un petit sauvageon que l'on n'est pas fier de montrer. Plus facile à boire quoique rarement gouleyant, le Gamay représente les 3/4 des vins rouges de Savoie. Fort heureusement, les Mondeuses, très prisées des connaisseurs, ont perdu la rusticité de leurs tanins végétaux et regagnent du terrain. Conduites et vinifiées avec intelligence, elles donnent le meilleur d'elles-mêmes avec leur incomparable fruité de jus de myrtille et leurs saveurs poivrées. Avec un quignon de pain et un "boccon" (bouchée) de tome, la Mondeuse tombe à pic dans la musette des randonneurs. Elle va très bien avec les diots polenta, saucisses de Savoie accompagnées de semoule de maïs.

L'infinie diversité des vins de Savoie n'est que le reflet des paysages qui les ont vus naître...

Des alliances parfois insoupçonnées

Parfaitement adaptés à la gastronomie de montagne, les vins blancs de Jacquère, Abymes, Apremont ou Chignin, sont appréciés pour leur fraîcheur et leurs arômes. Ce sont les meilleurs alliés du Beaufort, de la raclette et de la fondue. Ils font le bonheur des rendez-vous de copains au resto du coin ou des soirées d'après-ski autour du poêlon. C'est facile à préparer et c'est convivial. Et si vous voulez sortir des sentiers muletiers, goûtez donc l'Apremont sur des huîtres, superbe alliance de saveurs iodées, minérales et citronnées. A faire pâlir un Muscadet ! Plus riche que l'Apremont, mais aussi plus rare, le Chignin Bergeron aime associer ses saveurs fruitées et veloutées à la noblesse des poissons de lac, omble chevalier et lavaret. Quant à la Roussette, le plus structuré des vins blancs de Savoie, elle se marie avec bonheur à la cuisine aux herbes : un lapin au fenouil ou un poisson à l'oseille. Si la plupart des vins de Savoie sont à boire jeunes, oubliez vos préjugés, vos Roussettes et vos Mondeuses : elles gagnent à vieillir, six ans de cave ne font pas peur aux meilleures d'entre elles.

4 appellations et 17 crus de vins de Savoie

Le vignoble de Savoie offre 4 appellations : Crépy, Seyssel, Roussette et Vin de Savoie. Crépy, près du Lac Léman et Seyssel dans l'Ain sont faciles à localiser. Mais Roussette et Vin de Savoie peuvent provenir de tous les coins du vignoble, sauf si ces 2 appellations portent le nom d'un cru. Il existe 4 crus de Roussette : Frangy, Marestel, Monthoux et Monterminod. Et pas moins de 17 crus de Vin de Savoie dont les plus réputés sont l'Apremont, le Chignin, le Chignin Bergeron et l'Arbin. Tant de vins pour un si petit vignoble ? C'est tout le charme de la Savoie aux mille visages.

23 cépages autorisés en AOC

23 cépages sont autorisés dans l'élaboration des vins de Savoie d'appellation. Couvrant 900 hectares, la Jacquère est le raisin le plus répandu en Savoie. Ce sont les éboulis calcaires et caillouteux du Mont Granier au Sud de Chambéry qu'elle préfère. A l'origine pourtant, une catastrophe sans précédent : une mauvaise nuit de novembre 1248, l'énorme masse du Mont Granier s'est brusquement effondrée, engloutissant toute la région et ses 5000 habitants. L'Abymes et l'Apremont qui évoquent le tragique chamboulement donnent des vins rafraîchissants aux parfums de fleurs ou de fruits blancs et aux saveurs minérales. Sur le versant opposé, à Chignin, la Jacquère produit des vins moins vifs, plus gras, aux arômes d'amande et de noisette.

La Roussanne est le cépage du vin préféré des Savoyards : le Chignin Bergeron. Ce raisin aux grains blanc doré, presque roux à maturité, est originaire des Côtes-du-Rhône septentrionales où il donne, assemblé à la Marsanne, le fameux Hermitage blanc. Le cru Chignin Bergeron (100% Roussanne) rappelle d'ailleurs le savoureux abricot de la Vallée du Rhône. Souple et velouté, ce vin très fruité est presque confidentiel. Très recherché, il représente moins de 2% des vins de Savoie. L'Altesse est le cépage qui donne, sur un sol calcaire mêlé de moraines, la Roussette, le vin blanc le plus riche et le plus structuré de Savoie.

Le Jura : petit vignoble et grands vins

Le vignoble du Jura occupe 1900 hectares au Sud de la Franche-Comté de Salins à Saint-Amour, en passant par Arbois, Poligny, Voiteur et Lons-le-Saunier. Imaginez une longue bande de terre qui traverse en écharpe tout le Jura et vous aurez une image de la configuration de cette attachante région viticole que l'on appelle le Revermont.

Le Jura possède certainement la palette de vins la plus originale de France.

Un peu d'histoire

Voici l'un des plus vieux vignobles de France, attesté dès la plus haute Antiquité. Le vin et le sel sont alors des monnaies d'échange idéales. Des liens très étroits s'établissent dès le Xème siècle entre Franche-Comté et Bourgogne. Pas étonnant que le Pinot Noir et le Chardonnay aient allègrement franchi le fossé bressan dès le XVème siècle pour s'établir autour du Château d'Arlay, dont les propriétaires étaient liés à la Cour de Bourgogne. Mais avec ses grottes et ses reculées, ses buttes et ses plateaux, ses combes et ses falaises, le vignoble du Jura est, jusqu'à une période récente, tenu à l'écart, presque isolé : à l'ombre et ambrés sans oublier crémants et macvin, le Jura possède certainement la palette de vins la plus originale de France : tout à fait étonnant pour une aire de production si confinée.

Les vins blancs représentent les 2/3 de la production. Issus de Chardonnay ou de Savagnin, ils ont une forte identité aromatique issue d'un terroir de qualité largement sous-estimé. Ils peuvent aussi acquérir une formidable complexité autour du fameux goût de noix, qui signe les vins blancs élevés sous voile (c'est-à-dire les vins non ouillés) pendant leur élevage). Partout ailleurs, des vins laissés au contact de l'air vireraient au vinaigre. Dans le Jura, ils résistent, donnant au bout d'un de son prestigieux cousin bourguignon et quasiment ignoré de ses voisins suisse et savoyard.

Des vins de caractère

Cette région montagneuse au relief très contrasté va développer des vins de caractère, hauts en couleurs et riches en saveurs, issus de cépages introuvables ailleurs : Trousseau pour les rouges, Poulsard pour les rosés et Savagnin pour les blancs. Avec vins jaunes et vins de paille topaze ou deux ans, les Côtes du Jura, l'Etoile ou Arbois aux arômes d'amande, de châtaigne ou de noix fraîche, qu'une seule dégustation permet d'inscrire à jamais dans notre mémoire olfactive.

Le Vin jaune

Dans le meilleur des cas, les vins issus de Savagnin "vont au jaune". Personne à ce jour n'a réussi à percer le mystère du vin jaune qui défie le temps, la nature et l'œnologie. Logé en barrique pendant 6 ans et 3 mois sans voir le jour, livré à lui-même, il va se protéger de l'oxydation en développant à la surface un voile de levures. Et très lentement, de blanc, il va devenir jaune, à la teinte comme au goût. Au terme de sa lente métamorphose, le vin aura perdu par évaporation le tiers de son volume : voilà pourquoi il bénéficiera d'une bouteille spéciale de 62 cl, le clavelin. D'abord déroutant, puis envoûtant, le vin jaune offre une complexité fruitée, minérale, épicée et fumée digne des plus grands vins.

Le vin de paille

Autre curiosité du Jura, le vin de paille. Autrefois prescrit aux femmes accouchées, il tenait lieu de reconstituant : "un demi-verre à chaque repas" selon l'ordonnance du médecin de Menétru-le-Vignoble au début du siècle. Vin de patient et de passion, il nécessite toutes les attentions : on commence par choisir les plus beaux raisins : le Poulsard pour le fruit, le chardonnay pour la finesse et le Savagnin pour la structure. On ne vendange pas, on cueille... les plus belles grappes que l'on mettra à sécher sur de la paille en local aéré. Une fois passerillés, les raisins seront pressés, à Noël ou en mars selon la concentration recherchée.

Vin de paille à foie gras : plus sec et plus vineux ou vin de paille à dessert : plus confit, plus moelleux. Un véritable élixir plein de miel et de fruit.

4 appellations et 5 cépages : une apparente simplicité

4 appellations se disputent les meilleurs terroirs constitués de marnes du Lias et du Trias.

La plus vaste appellation, Côte du Jura, couvre l'ensemble du vignoble sur 750 hectares et particulièrement le Sud-Revermont, parsemé de petites bourgades plus rurales que viticoles. Les trois autres appellations sont, quant à elles, cantonnées à des aires délimitées, Arbois au Nord, L'Etoile et Château Chalon au Centre.

Ramassée autour de la coquette cité qui lui donne son nom, l'appellation Arbois représente, avec 900 hectares, la moitié du vignoble du Jura. Vous y trouverez de savoureux vins blancs et jaunes, et surtout des vins rouges (50%). Originaire de Bourgogne, le Pinot Noir est le chevalier servant des deux cépages locaux : le Poulsard et le Trousseau. Les sols noirs ou lie-de-vin que l'on rencontre à Pupillin conviennent à merveille au "Ploussard" comme on l'appelle ici, car il doit son nom à la plosse, une petite prunelle sauvage. Rouge ou rosé ? C'est selon. Ce beau raisin à la peau fine donne un vin rouge les années fastes, un vin rosé le reste du temps. Pour mettre tout le monde au diapason, il est convenu de l'appeler "corail". Mais ne vous fiez pas à la robe : les arômes de cerise, de venaison et de sous-bois en font un vin de caractère à marier avec une saucisse de Morteau et autres salaisons fumées.

Personne à ce jour n'a réussi à percer le mystère du vin jaune qui défie le temps, la nature et l'œnologie.

Autre cépage chéri des Jurassiens : le Trousseau qui représente seulement 5% du vignoble. Son berceau, c'est Montigny-lès-Arsures, au Nord d'Arbois. Quand il pousse sur ce sol graveleux et chaud composé de marnes bariolées, il donne un vin corsé aux arômes sauvages de sous-bois et de griotte. Jeune, il aime les viandes rouges. En vieillissant, il préfère le gibier : un vrai vin de garde. Autrefois d'ailleurs, quand une fille naissait, les vignerons mettaient un tonneau de côté pour son mariage : c'était son trousseau ! Au Nord de Lons-Le-Saunier se trouve L'Etoile (80 ha) qui ne produit que des vins blancs : cette appellation doit son nom aux minuscules crinoïdes fossilisées dans une terre argileuse de marnes rouges et grises. C'est à l'Etoile que vous trouverez les Chardonnay les plus fins, les plus élancés. Ne croyez pas que le cépage Bourguignon ait été récemment introduit dans le Jura. On en trouve la trace dès le XIVème siècle. Les dernières recherches tendent même à prouver son antériorité jurassienne ! Vinifié seul dans le Sud et à l'Etoile, le Chardonnay est souvent assemblé au Savagnin dans le Nord, comme pour rappeler qu'autrefois les vignes étaient plantées "en foule", tous raisins mélangés, histoire d'assurer la récolte.

Cépage autochtone, le Savagnin est le cousin du Traminer de la vallée du Rhin. Très peu productif, ce raisin tardif vendangé fin octobre prend une couleur bronze à maturité. Quand il est vinifié avec ouillage, ce qui est rare, il a une expression très fruitée et très pure. Elevé sous voile, selon la tradition, il donne un vin jaune d'une rare complexité aux tonalités de noix et de curry. Sa très grande richesse en alcool et en acidité ainsi que son mode l'élevage si singulier en font un des plus grands vins de garde. Et c'est à Château Chalon sur des marnes gris bleuté et feuilletées qu'il exprime son génie. Les grands vins jaunes au goût inimitable et pénétrant de noix, de fumée, de curry et de safran sont les seuls vins à passer le siècle sans prendre une ride. N'attendez quand même pas si longtemps ! Et ne vous privez surtout pas du plaisir de goûter votre vin jaune sur un poulet de Bresse aux morilles ou au curry : mariage garanti !

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